*** 1/2 critique par Elie Castiel, SEQUENCES, Montreal
Somme toute, Invisible est un film diégétiquement
Somme toute, Invisible est un film diégétiquement
cinématographique; chaque plan de la ville et des
intérieurs devenant la cible de la caméra, emportant avec
elle les soubresauts tragiques d’une urbanité dont
on entretient la vie à l’aide d’une respiration artificielle.
Cinéaste
du début des années 1990, Dimitris Athanitis se situe dans la mouvance
d’un certain cinéma grec en pleine évolution, suscitant la curiosité
bien fondée des festivals internationaux, notamment européens. Avec 2000 + 1 Shots (2000 + 1 stigmés) en 2000 et Three Days Happiness (Trís méres eftyhías)
en 2012, sans compter d’autres longs et quelques courts métrages signés
dans les années 90, le réalisateur confirme déjà son argumentation
narrative, explorant les thèmes de la solitude dans une urbanité
tentaculaire, voire même glauque qui ne donne aucun répit au citoyen.
Avec le
recul, on s’aperçoit qu’il s’agit aussi d’un cinéma annonciateur de la
crise existentielle, économique et sociale d’une Grèce laissée à
elle-même, à l’abandon. Avec Invisible (Aóratos), il brosse en quelque sorte le portrait d’un homme en crise comme il l’avait fait avec 2000 + 1 Shots ;
ici, l’individu n’est plus maître de lui, il est perdu dans la cité,
victime d’une crise économique sans merci, licencié d’une usine sans
préavis, divorcé de sa femme qui, en apprenant sa débâcle, semble s’en
ficher.
Car dans
la Grèce en crise, c’est du chacun pour soi, sauf les rarissimes
affranchis qui profitent de cette panne économique pour s’enrichir
davantage. Mais ce qui frappe dans ce dernier film d’Athanitis, c’est
l’originalité de la mise en scène, dénigrant la linéarité pour mieux
s’adapter au personnage principal, Aris, être déshumanisé perdu
lorsque son gagne-pain cesse, confondant la réalité et l’imaginaire,
parcourant l’espace vital avec une déréliction poignante, qui n’a pas de
nom, invisible, comme l’est lui-même.
Car Invisible,
c’est surtout un film de mise en scène et d’acteurs. Le récit, d’une
simplicité étonnante, brille par la réalisation torturée, iconoclaste et
délicatement rebelle d’un cinéaste témoin de son temps. Déjà remarqué,
entre autres, dans Hardcore (2004) de Dennis Iliadis et en 2005 dans Hostage (Omiros)
de Constantine Giannaris, Yannis Stankoglu compose le personnage d’Aris
avec une étonnante distanciation, une absence métaphysique qui
reconstruit l’espace autour de lui et soumet la Grèce filmée à une
autopsie géographique. Il a le visage d’un lutteur sans plus d’énergi,
d’un ancien amoureux de la vie qui a perdu tout espoir, d’un travailleur
dont on ne veut plus.
L’acte
sexuel (expéditif) avec la barmaid, après son licenciement n’est que le
témoignage d’un dernier rapport amoureux avec la vie. Car pour Dimitris
Athanitis, et donc pour Aris, tout semble perdu, l’air n’est plus
respirable, le futur n’existe point, le présent n’est que fausse
survie : la femme d’Aris a un nouveau mari/amant, ses amis le laissent
presque tomber, on lui offre un petit boulot de merde qu’il laisse tout
de suite tomber; le seul horizon d’espoir dans ce ciel bleu en état
diaphane, son fils, un petit gamin de six ans, incarné par un Christos
Benetsis dont la présence magnifique nous fond le cœur. Ou serait-ce
également la caméra de Giannis Fotou qui s’attache à lui, le filmant
comme la douce caresse d’un père à son enfant.
La bande
sonore de Papercut est saccadée, faite de courts morceaux qui
s’infiltrent dans le psyché déformé d’Aris, soulevant parfois des
envolées, courtes, mais tragiques. Et il y a aussi le montage de
Stamatis Magoulis (idem que dans Three Days Happiness)
renonçant catégoriquement à la linéarité du récit, préférant brouiller
les pistes, s’engouffrant dans une sorte de road movie intérieur où
n’existent guère ni le souvenir, ni la mémoire, laissant cet anti-héros
grec post-moderne se diriger vers un destin illusoire et incertain.
Somme toute, Invisible
est un film diégétiquement cinématographique; chaque plan de la ville
et des intérieurs devenant la cible de la caméra, emportant avec elle
les soubresauts tragiques d’une urbanité dont on entretient la vie à
l’aide d’une respiration artificielle.
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